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Naziha Joundi de la crèche De Ster – Berchem

“Je ne m’occupe pas seulement de 100 petits enfants, mais aussi de leurs parents", affirme Naziha Joundi, élue en 2014 entrepreneur féminin prometteur par le réseau de femmes Markant et Unizo. Et ce à juste titre. Elle dirige en effet aujourd’hui une crèche accueillant plus de 100 enfants et occupant 17 collaborateurs. Les enfants, leurs parents et les collaborateurs composent ensemble un groupe culturel qui est un reflet voulu de la population anversoise et de sa multiculturalité, basé sur la valeur fondamentale qu’est le respect.

Plus que s’occuper des enfants, les changer et leur donner à manger

Lorsqu’elle travaillait comme enseignante dans une école ‘poubelle’, Naziha a réalisé qu’elle voulait faire plus que donner cours. Elle voulait changer les choses à la base, chez les enfants âgés de 0 à 3 ans, et ce dans un contexte multiculturel. Aujourd’hui, elle réalise chaque jour ce rêve dans sa propre crèche. Sa stratégie multiculturelle délibérée permet à Naziha de jeter les bases de la tolérance à la fois chez les enfants, leurs parents et ses collaborateurs.

La politique d’accueil de Naziha est très simple : tout le monde est bienvenu. ”Certaines personnes pensent parfois que ma crèche est uniquement réservée aux enfants allochtones, ce qui n’est pas du tout le cas. Tout le monde est vraiment le bienvenu. Nous voulons également faire quelque chose pour les parents. Au début, ils étaient tous au chômage. Nous avons incité les mères à chercher un emploi. Nous les interrogions sur leurs recherches et leur donnions parfois un petit coup de main. Nous avons également incité les parents ne parlant pas néerlandais à apprendre la langue. Et il nous arrive régulièrement de voir des parents qui ont juste besoin d’une épaule compatissante ou d’une oreille attentive.” Cette valeur ajoutée sociale rend la crèche de Naziha unique. En plus de s’occuper des enfants, elle juge tout aussi important de signifier quelque chose pour la société, de lui rendre quelque chose.

Bien sûr, tout n’a pas tout de suite marché comme sur des roulettes. “Lorsque j’ai démarré De Ster, mon but était d’avoir une clientèle qui soit représentative de la société (diversifiée quant au niveau de formation, au genre, à l’orientation sexuelle, zu milieu ethnique et religieux, …). J’ai dû attendre 6 mois avant qu’une famille belge me confie son enfant, mais cela valait la peine d’attendre ! Dès ce moment, les choses ont commencé à changer et les inscriptions ont commencé à affluer. Et aujourd’hui nous avons un groupe très diversifié et une longue liste d’attente.”

La passion prime lors du recrutement

Lorsqu’elle engage de nouveaux collaborateurs, Naziha ne s’intéresse pas uniquement aux compétences, mais tout autant à la passion et à la motivation. “Pour moi, le plus important est de trouver la bonne personne avec les bonnes qualités pour le job. Je ne veux travailler qu’avec les meilleur(e)s gardien(ne)s. Un bon CV ne suffit donc pas, la motivation doit être évidente dès le premier entretien. J’attends de mon personnel qu’il soit aussi passionné que moi.” Et cette passion se reflète dans son attitude positive. “En tant que Belge d’origine marocaine, j’ai entendu au fil des années beaucoup d’histoires d’autres personnes issues de la migration qui éprouvent des difficultés à trouver du travail, pour cause de discrimination notamment. Je pense que cela existe toujours, mais je n’y ai personnellement jamais été confrontée. J’ai facilement trouvé de bons emplois. Je pense que cela s’explique partiellement par mon attitude, je ne m’enferme pas dans un rôle de victime, mais m’en sers pour me battre. Je veille à obtenir ce que je veux. Il faut être honnête, le racisme et la discrimination existent, mais pas partout et il y a énormément de personnes qui comprennent la valeur ajoutée d’une société diverse. Et lorsque ce n’est pas le cas, c’est à nous de les en convaincre et de ne pas accepter la situation. Ainsi, beaucoup de personnes issues de l’immigration travaillent comme indépendant. C’est précisément cette volonté de s’en sortir que je recherche chez ceux qui sollicitent chez moi.”

Un mix sain de collaborateurs

Naziha n’a pas de politique formelle en matière de diversité, mais elle pense qu’une bonne vision de la diversité a un impact sur toutes les couches de l’organisation sans s’en préoccuper explicitement. Ainsi, elle recrute un mix sain de collaborateurs : des personnes issues de l’immigration, des autochtones, des personnes handicapées et même deux collaborateurs masculins, ce qui n’est pas évident dans ce secteur. “Nous voulons être représentatifs de la société, au niveau tant des collaborateurs que des enfants que nous accueillons. Chez nous, tout le monde est le bienvenu comme il est, avec ses propres normes et valeurs, comme dans une famille.”

Mais, même dans les meilleures familles, il y a parfois quelque chose qui coince. “Comme dans toutes les familles, on ne doit pas être d’accord sur tout. Nos différences nous rendent plus forts.” Les nouveaux collaborateurs sont d’emblée immergés dans l’organisation. “J’ai eu un jour une nouvelle collègue qui s’est rapidement heurtée à ses propres limites et s’est trouvée confrontée à des préjugés. Nous avons par exemple des collaboratrices qui portent le foulard et des gens qui n’entreraient pas en contact dans la vie quotidienne. Mais c’est justement ça qui rend les choses plus intéressantes. Cette collègue a adopté une attitude ouverte et cette expérience lui a permis d’évoluer personnellement et professionnellement et, quelques années plus tard, elle travaille toujours ici avec bonheur (?) J. En surmontant nos différentes, nous pouvons nous focaliser sur nos points communs.”

Visite avec un "responsable"

“Lorsque des gens viennent visiter la crèche, je confie généralement cela à un de nos ‘responsables’. Deux d’entre eux portent le foulard, mais je ne juge pas utile de le mentionner. De cette façon, les gens sont souvent confrontés à leur image (stéréotypée) d’un ‘responsable’. Même les allochtones sont parfois surpris de voir que la responsable porte un foulard, comme si eux aussi sous-estimaient ses capacités ou aptitudes ou ne peuvent croire qu’une personne avec un foulard peut occuper un poste à responsabilité dans notre société. Parfois, les gens doivent être confrontés avec eux-mêmes et leurs propres préjugés pour pouvoir évoluer. Et je dois dire que j’aime les mettre dans cette situation.

Lead by example

Naziha n’est pas différente comme chef que dans la vie privée. “Je trouve important d’être présente. La meilleure façon de motiver ses collaborateurs, c’est de leur montrer le bon exemple. Lead by example. Dans ma vie privée aussi, j’adopte la même approche. Ainsi, j’ai donné des noms très traditionnels à mes enfants, comme Mohamed. Je ne veux pas m’adapter à la négativité, mais j’apprends à mes enfants comment s’en accommoder. Et mon partenaire ? Il travaille à temps partiel pour s’occuper des enfants.”

Dans la pratique, Naziha applique sa vision lors des réunions d’équipe hebdomadaires, où tous les collaborateurs peuvent faire part de leurs observations et apprendre les uns des autres. Son rôle ? Former et encadrer ses collaborateurs et leur donner des opportunités afin qu’ils soient motivés à donner le meilleur d’eux-mêmes jour après jour. “Je suis exigeante, mais je donne beaucoup d’opportunités aussi à mon personnel. Lorsque je vois quelque chose de positif chez quelqu’un, je l’encourage. Je crois en la bonté des gens. Si on peut en tirer quelque chose, je continue à y croire. C’est ce qu’il faut faire en tant qu’employeur, continuellement motiver et accompagner vos collaborateurs. Il y a bien sûr des moments difficiles. Accompagner son personnel est une tâche difficile, qui demande beaucoup de patience. Mes collaborateurs dépendent de moi et je dépends d’eux, il faut savoir faire des compromis. Je donne beaucoup à mon personnel et suis toujours disponible pour eux. Je ne me contente pas de répartir les tâches, il faut toujours être à l’écoute.”

En donnant à ses collaborateurs beaucoup d’autonomie et de marge pour être eux-mêmes, ils reçoivent la reconnaissance qu’ils méritent, de la part des collègues, des parents et des enfants. Le résultat est un taux d’absentéisme très faible. “Quand on investit dans l’humain, on le récupère doublement ”, explique Naziha.

Cette stratégie porte ses fruits non seulement au niveau humain, mais aussi organisationnel. “De manière générale, j’essaie d’être la meilleure et on se compare donc en permanence avec les autres structures d’accueil d’enfants dans la région. Et ça marche ! Nos stagiaires et les inspecteurs de soin nous disent souvent que notre niveau de soin aux enfants et notre niveau pédagogique est très élevé. Nous contribuons ainsi à donner forme à la société future, et c’est pour moi très important.”

De la marge pour être soi-même

“Nous n’adaptons notre infrastructure et notre politique à personne. En revanche, chacun a la possibilité d’être lui-même dans le cadre que nous créons. Ainsi, nos collaborateurs musulmans peuvent prier durant leur pause, mais on ne prévoit pas d’espace ou de moment spécial à cet effet. Personne n’impose aux autres sa culture ou son mode de vie. Le respect mutuel est la base d’une organisation (et société) diverse réussie.”